La dernière séance 4/6

Elle affichait un calme hystérique… Je sentais à ce point que tout fumait en elle, mais sans fumée, c’est là tout l’art de la politesse locale. Allait-elle finir par lâcher le gros morceau ou son petit cœur allait-il cesser de battre avant ? Ce qui m'horripile dans les situations de ce genre, ce sont les chemins fourbes empruntés par ces codes doucereux pour exprimer une pensée de la manière la plus indirecte possible. Pourquoi ne m'avait-t-elle pas simplement demandé « pourquoi ne me dites-vous toujours que bonjour quand vous me voyez ? » au lieu d'inventer cette histoire invraisemblable de prof d'anglais et de conclure par un grand écart sans grâce avec la culture française dans lequel j’étais censé comprendre le reproche qui m'était fait ? Diable, des centaines de milliers d'années de vie sociale n'ont toujours pas simplifié l'échange de rapports aussi triviaux... Il faut toujours faire semblant, faire semblant d'être au lieu d'être véritablement. 
Mais le meilleur restait à venir.
- Comment dit-on « switch off your mobile » en français ? Vous savez comme dans euh… les trains par exemple : Please « switch off your mobile » while you're on the train…
- Le contraire de « allumer », qu'est-ce que c'est ? 
- Etendre.
- Non, presque…
- Attendre.
- Non.
- Atteindre ?
- Non…
- Entendre ?
- Non… vous mélangez un peu tout ça et ça donne « éteindre ». Alors on dit « éteignez votre portable s'il vous plaît ».
- Ah, d'accord... 
- ... 
- ... 
Et puis plus rien… Tout était dit apparemment. A moi de comprendre et de porter la croix d’une culpabilité non exprimée. Mais non cocotte, je refuse de me plier aux règles sournoises de ces petits jeux hypocrites. Qu’étais-je censé faire de ça ? Cette consigne implicite selon laquelle je devais deviner ce qu’elle avait dans la tête et agir en fonction ne prendrait pas. C’est insensé et c’est la cause de tant de quiproquos, d’erreurs, de pertes de temps et de rancœurs ravalées autour de moi… N’est-ce pas un des principes fondamentaux de la communication, d’essayer d’exprimer clairement sa pensée afin d’éviter les plus grossiers malentendus ? Eh bien non justement… ce qui est évident quelque part ne l'est pas forcément ailleurs… J’ai pourtant toujours essayé de m’accommoder, de m’adapter au mieux à la culture du pays où je me trouve jusqu’à présent puisqu’il s’agit pour moi de la fonction essentielle du voyage, mais là j’avoue que je restai borné à ne pas vouloir comprendre ce que j’étais censé déduire de ce qu’elle faisait mine de ne pas chercher à me faire comprendre… 
Alors, résigné, mais avec des fleurs dans la voix, j’avançai sur son champ de mines : 
- Mais… dites-moi, pourquoi voulez-vous savoir ça en français ? 

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