La dernière séance 1/6

[Toute ressemblance avec des personnes de la vie réelle est purement fortuite…]

J’avais une étudiante. C’était une femme infantile d’une quarantaine d’année, un peu folle mais toujours très élégante. Elle avait une manière bien à elle de tordre la bouche en réfléchissant qui m’évoquait immanquablement ce que j'imaginais être le baiser des poissons. Elle était artiste peintre à ses heures et travaillait sinon dans une grande entreprise de jeux vidéos. Elle avait fini par représenter à mes yeux le syncrétisme même de l’emballage traditionnel et de la Wii, et si je m’étonnais un peu au début de son excentricité, je m’étais peu à peu attaché à ce que j’avais fini par considérer comme de l’originalité. Elle courait vers nos rendez-vous avec la grâce d’un bourdon aveugle et roulait souvent ses grands yeux avec un charme particulier qui lui en décollait les lentilles. Elle avait alors deux yeux dans chaque orbite et moi j’étais ému de tant d’attention.

Elle était aussi pleine de petites intentions. Comme notre cours se déroulait le samedi, j’avais eu plusieurs fois la malencontreuse déveine de me réveiller avec une vilaine gueule de bois. Ainsi J’arrivais parfois au lieu du rendez-vous la tête lourde, les yeux rouges, mais avec surtout de vagues relents d’alcool apparemment, puisqu’elle avait eu la lumineuse idée de m’offrir un paquet de Fishermen’s Friends le cours suivant. Pourtant, quand elle voyait que j’étais resté sobre deux semaines consécutives, elle m’offrait une petite bouteille d’alcool, soigneusement emmaillotée dans un joli tissu à motifs traditionnel.

J’avais une étudiante, mais je ne l’ai plus. Le papillon s’est transformé en chenille qu’un corbeau phtisique est sans doute allé recracher loin de moi, à mille milles de la banquette du café où nous avions l’habitude de nous retrouver. La dernière fois que je l’ai vue, elle était toute changée. Mettant la nervosité de son regard anormalement immobile sur le compte d’un dérèglement quelconque des paupières, dont la tempête des derniers jours aurait enrayé le mécanisme, j’ouvrais sans y faire plus attention son journal et y lus ceci :

Aujourd'hui j'ai rencontré à Franz à la gare de Hachioji pour aller voir à le concert de classic music. 
Quand il m'a dit bonjour je sentis un fort goût de l'ail
Est-ce qu'il n'aime pas à moi ? 
Est-ce que je suis Dracula ? 

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