Atmosphères...

Le Café Jazz de Shimokitazawa.

Bien que ça n'ait, en réalité, pas grand chose à voir, c'est pour moi un peu le Montmartre de Tokyo. En arrivant à Paris, j'avais voulu vivre là-bas. En arrivant à Tokyo, j'ai voulu vivre ici.

C'est un quartier très différent du reste de la ville: construit sur une colline, les maisons y sont plus basses, les rues plus étroites et les voitures peu nombreuses.

C'est un quartier jeune, truffé de bars introuvables et de boutiques de frusques, rempli le soir de musiciens de rues que même la pluie n'arrête pas. Il y règne un esprit bien plus calme que dans les grands quartiers où, je vous le disais avant-hier, les gens communiquent au mégaphone. Ici tout se fait à pied et on est jamais sûr d'arriver là ou on voulait aller.

C'est encore le meilleur moyen pour se rendre au Café Jazz.



De dehors, la première fois, on ne sait pas trop à quoi s'attendre. On n'ose pas trop entrer, c'est peut-être privé ? Et ce programme à l'entrée, qu'est-ce que c'est ? Les concerts ? Voir Keith Jarret, Gary Peacock et Pat Metheny le même mois, on a du mal à y croire, mais quand on lit Charles Mingus et Chet Baker, là, on y croit plus. Alors on rentre, on verra bien.

A peine franchie la porte, le premier moment d'hésitation s'échappe; on sait qu'on a de la chance.
J'ai toujours trouvé remarquable ici la manière dont les japonais savent créer des atmosphères dans les cafés. Vous entrez et vous êtes ailleurs; l'attention au détail rend chaque endroit unique. Ici, non seulement êtes-vous ailleurs dans l'espace, mais surtout dans le temps.

On a l'impression d'entrer dans un club d'initiés, un peu secret, dans un endroit entre deux guerres où le Jazz serait quelque chose de subversif pour les biens pensants.

Les murs sont en bois noir, les tons ocres, cramoisis. La lumière est jaune et inégale. Ca sent le tabac, la poussière et le silence du connaisseur. Ici quelqu'un dort dans un canapé en cuir noir, aussi vieux que la photo délavée de Miles Davis qui traine au-dessus, là un autre regarde le plafond, absorbé dans sa fatigue. Là-bas un couple se sourit, mais ose à peine se parler... C'est vrai qu'on a pas envie de faire de bruit ici.


Même la serveuse anoréxique et introvertie semble ne pas pouvoir exister ailleurs qu'ici. On s'assied, on prend un des livres dont sont remplies les étagères ou qui jonchent les tables, on fume, on boit, on écoute...


Le son sort d'enceintes énormes, jaunies par le temps. Il est rond et patiné, aussi bien veillit qu'un whiskey du même âge. L'endroit en est fier d'ailleurs, puisqu'une description complète est donnée du système à l'entrée.


Tout le monde est capté par la musique, qui n'épargne aucun espace, et les dieux du Jazz, du fond de leurs cadres défoncés, semblent assister à la mémoire de leurs propres concerts.

Combien de temps a passé ?
Le verre est vide, le cendrier plein.
Peut-être a-t-on dormi, on ne sait pas. En tout cas la musique est toujours là. On se lève fatigué, mais tranquille, soigné presque, heureux plus qu'on peut savoir pourquoi, plein de l'énergie des paysages.

La porte se referme, la musique s'étouffe et on s'en va, sans être tout à fait sûr de savoir revenir.

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