Mes amis, mes amours
Lucienne Desnoues s'est éteinte il y a peu. Amie des mots, de la terre, de l'amour, elle a tricoté le monde et ses simples merveilles dans des textes aux rimes riches et gourmandes.
Lucienne Desnoues était l'amie de Gide, de Giono, de Colette, l'amie de tous ceux qui font sourire les fenêtres.
Voici un de ses plus beaux poèmes, que pouvez entendre mis en musique par Hélène Martin.
Mes amis, mes amours, la salle est si petite
Que nos coeurs suffiraient, ensemble, à la chauffer
Mais vive les flambeaux, l'âtre qui danse vite
Et tous ces chaleureux, les cuivres, les marmites,
Les épices, le rhum, le tabac, le café.
Dehors le plus grand gel de tout l'hiver s'orchestre.
Les fins archers de l'est et du septentrion
Célèbrent dans l'aigu la nuit de Saint-Sylvestre
Et la sévère terre à l'heure où nous rions
Tient plus fort que jamais les défunts sous séquestre.
Riez donc, chers vivants, brillez beaux hommes jeunes,
Femmes encore en fleur dans votre âge fruitier,
Partagez ardemment l'orange et l'amitié,
Un soir tout l'avenir sera que vous partiez
Observer sans retour le silence et le jeûne.
Vous ai-je bien traités ? Dans les sauces profondes
Qui doivent leurs saveurs aux quatre coins du monde,
Le grand vin suceptible et dévotement bu,
Dans le rôti concie, le gâteau qui redonde,
Avez-vous savouré l'esprit de ma tribu ?
Ah ! Chers civilisés, chères civilisées,
Procédons sous le gui à nos rites fervents
Tandis que sans raison, sans passion le vent
Vitriole de givre et de poussière usée
Les saintes des parvis, les maisons, les musées.
Qu'un vif brouillon de voix mélange nos passés,
Nos songes, nos démons, nos dieux, nos trépassés,
Le Brabant, l'Aquitaine, et ma ville effrénée
Qui fait rieusement ses adieux à l'année
Entre Chartres muette et Versailles glacé.
Toi, croyant qui nous vois flanqués d'anges en armes,
Vous que Goethe ou Stendhal mieux que la Bible charme,
Heurtez vos Gabriel, vos Faust et vos Sorel
Et bien enchevêtrés dans un riche vacarme
Brassons l'intemporel avec le temporel.
A tort et à travers, à bouche que veux-tu
Discutez, disputez, bien subtils et bien fauves,
Que sous le proclamé rayonne tout le tu
Et que dans vos regards, beaux couples bien vêtus,
Luisent furtivement vos beaux secrets d'alcôve,
Tandis que sans raison, sans plaisir, sans remords,
La bise de toujours lamine les royaumes,
Malmène les oiseaux, les ramures, les dômes
Et ce chaud réveillon haut perché qui embaume,
Petite orange en fête aux branches de la mort.
Lucienne Desnoues était l'amie de Gide, de Giono, de Colette, l'amie de tous ceux qui font sourire les fenêtres.
Voici un de ses plus beaux poèmes, que pouvez entendre mis en musique par Hélène Martin.
Mes amis, mes amours, la salle est si petite
Que nos coeurs suffiraient, ensemble, à la chauffer
Mais vive les flambeaux, l'âtre qui danse vite
Et tous ces chaleureux, les cuivres, les marmites,
Les épices, le rhum, le tabac, le café.
Dehors le plus grand gel de tout l'hiver s'orchestre.
Les fins archers de l'est et du septentrion
Célèbrent dans l'aigu la nuit de Saint-Sylvestre
Et la sévère terre à l'heure où nous rions
Tient plus fort que jamais les défunts sous séquestre.
Riez donc, chers vivants, brillez beaux hommes jeunes,
Femmes encore en fleur dans votre âge fruitier,
Partagez ardemment l'orange et l'amitié,
Un soir tout l'avenir sera que vous partiez
Observer sans retour le silence et le jeûne.
Vous ai-je bien traités ? Dans les sauces profondes
Qui doivent leurs saveurs aux quatre coins du monde,
Le grand vin suceptible et dévotement bu,
Dans le rôti concie, le gâteau qui redonde,
Avez-vous savouré l'esprit de ma tribu ?
Ah ! Chers civilisés, chères civilisées,
Procédons sous le gui à nos rites fervents
Tandis que sans raison, sans passion le vent
Vitriole de givre et de poussière usée
Les saintes des parvis, les maisons, les musées.
Qu'un vif brouillon de voix mélange nos passés,
Nos songes, nos démons, nos dieux, nos trépassés,
Le Brabant, l'Aquitaine, et ma ville effrénée
Qui fait rieusement ses adieux à l'année
Entre Chartres muette et Versailles glacé.
Toi, croyant qui nous vois flanqués d'anges en armes,
Vous que Goethe ou Stendhal mieux que la Bible charme,
Heurtez vos Gabriel, vos Faust et vos Sorel
Et bien enchevêtrés dans un riche vacarme
Brassons l'intemporel avec le temporel.
A tort et à travers, à bouche que veux-tu
Discutez, disputez, bien subtils et bien fauves,
Que sous le proclamé rayonne tout le tu
Et que dans vos regards, beaux couples bien vêtus,
Luisent furtivement vos beaux secrets d'alcôve,
Tandis que sans raison, sans plaisir, sans remords,
La bise de toujours lamine les royaumes,
Malmène les oiseaux, les ramures, les dômes
Et ce chaud réveillon haut perché qui embaume,
Petite orange en fête aux branches de la mort.