La rotation des boîtes à musique

Qu'on le veuille ou non, on grandit et on oublie... Oh, c'est sûr, on a des images, des moments choisis, des références, on a des preuves en quelque sorte, mais en fait... on oublie inévitablement comment c'était vraiment.

C'est peut-être d'ailleurs une des raisons pour lesquelles on fait des enfants, pour savoir se souvenir et chercher dans cette vie l'autre que l'on a été et dont on n'était pas alors bien conscient qu'il nous deviendrait tout doucement étranger.

Quand j'aurai 7 ans, j'serai grand ! Cette impatience à atteindre le mystère de l'âge adulte, l'air incrédule devant ce regard des parents que l'on aura un jour quand ils nous disaient au contraire de prendre le temps de grandir... Quelle contradiction ! Deux planètes dont la rotation contraire assure la coexistence... et la nostalgie qui en découle. L'une ne veut que devenir alors que l'autre voudrait enfin pouvoir fixer quelque chose. L'enfance est tout dans l'élan, c'est une envie d'être grand, une frénésie de rêve, l'impulsion d'être déjà demain. Et pourtant, on demandera tous, sans doute, quelques minutes encore... avant que la musique s'arrête.

En tout cas, j'avais oublié à quel point les enfants sont créatifs.


Mon pote percussionniste, Kazuya, m'avait proposé de participer à un atelier percussion qu'il organisait avec une association locale dans un parc de Tokyo. Chacun devait trouver dans sa cuisine tout ce qui allait lui permettre de mettre ses sens en éveil. C'est ainsi que je me suis retrouvé au milieu d'une trentaine d'enfants, qui avec des paquets de nouilles, qui avec des noix, du riz, des smarties, des élastiques et des râpes à daïkon, des allumettes, des rouleaux de papier toilette ou des boîtes en métal, bref, tout un attirail digne d'un magasin Mammouth, étaient venus nous expliquer un peu le sens du rythme... Nous devions initialement orchestrer un brin tout ça et assister ces compositeurs fous dans leurs créations musicales. Autant dire qu'on a vite été largué devant l'étendue du génie d'improvisation de nos artistes...






J'étais là, un peu gauche, à passer de groupes en groupes pour leur demander comment ça avançait. J'avais beau faire semblant, ils étaient seuls à même de comprendre leurs secrets. Les rôles se sont inversés lorsque je me suis rendu à l'évidence que, décidemment, je n'avais rien à leur apprendre. J'ai perdu peu à peu cet air du grand qui a des leçons à donner, ce regard tuteur incapable d'inventer quelque chose de radicalement nouveau, et je me suis mis à écouter leurs histoires, à les regarder mélanger la terre avec le riz et coller des ailes en papier aux rouleaux de PQ.







Grandir doit vouloir dire se construire des barrières... se plier à tout un bouquet de références qui se comprennent en regard des enfantillages. Je redécouvrais la liberté de créer sans avoir à suivre un modèle, une certaine harmonie dans des dissonances nouvelles qui, il faut quand même bien l'avouer, tapent un peu sur les nerfs à la fin de la journée... J'avais oublié aussi à quel point les enfants peuvent s'immerger complètement dans ce qu'ils fabriquent. Plus rien n'existe autour d'eux que l'image de ce qu'ils cherchent à réaliser. Je pensais que certains en auraient vite assez, qu'ils commenceraient à s'envoyer les nouilles à la figure ou à s'enfoncer des grains de riz dans les narines, mais non, ils étaient tous hyper concentrés sur leurs bidules. En somme, j'ai vraiment appris tout un tas de truc avec ces enfants.


Le but de la journée étaient de leur faire créer des instruments pour ensuite les faire jouer par groupes de 5 ou 6 devant les autres. On a bien essayé de les faire s'accorder un peu, de leur faire comprendre que si Mayu tapait trop fort sur sa boîte en métal remplie de nouilles on n'entendrait plus les élastiques de la guitare électrique en boîte de Kleenex de Yukihiro, mais bon, on avait encore rien compris à la musique visiblement...

Ce qui est extraordinaire, c'est que c'était vraiment bien leur truc ! En quelques heures, ils avaient tous créé quelque chose d'unique et d'original. Je les écoutais faire bling bling bling en me disant que pour nous c'est foutu, si on fait ça on est vraiment ringard. On doit faire poum pata poum ou dha tir kit dha ti na kita taka dha... bref, un truc qui ressemble à quelque chose, quoi. Ca devient vachement dur de ressembler à rien en fait. Au mieux, on nous donnera de l'artiste, au pire, ça ressemblera vraiment à rien... Mais les enfants sont libres de tout ça, ils font bling bling bling et c'est génial... C'est con les gosses !

Je suis rentré épuisé de cette journée où la rotation des planètes s'était inversée. J'avais couru, je m'étais fait sauter dessus, j'avais joué, j'avais ri, j'avais crié, je m'étais fait pleins d'amis.
J'avais oublié mon âge...

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